
Réalisation du couple alchimique
Le féminin est une polarité en chacun de nous, hommes et femmes confondus, au même titre que la polarité masculine. Aucune hiérarchie n'existe entre ces forces mêlées par l'alchimie intérieure. Simplement, certaines d'entre elles sont affublées de pensées, d'informations non encore digérées, constitutives d'inertie dans la non-intégration des expériences précédentes. Ces forces ont par conséquent, en l'état, une " incapacité" à se marier l'une avec l'autre, et c'est pourquoi elles doivent être transmutées.

Le médecin psychiatre suisse Carl Gustav Jung (1875/1961) a remis à la mode le mot "énantiodromie", qui vient de la philosophie grecque d'Héraclite d'Éphèse, pour désigner ce phénomène omniprésent de l'union des contraires, que l'on retrouve dans la philosophie orientale avec le symbole du Tao (Yin et Yang), et indienne avec l'union de Shiva et Shakti (lingam et yoni).
Sans sa compréhension de l'être humain, il en découle que si les foules sont enragées dans leur chasses aux sorcier(e)s, c'est qu'elles ne voient qu'un seul aspect d'une personne humaine. Ainsi la femme est réduite à la sorcière, sous prétexte qu'elle peut crier d'une voix suraiguë, avoir une langue de vipère, crever les yeux avec ses longs ongles, exercer une séduction tout-à-fait irrésistible... ou l'homme est lui aussi réduit à l'état de violeur, de dominateur, de tyran, de tortionnaire. Et il en est de même réciproquement, en ne voyant dans la femme que la sainte, la douce, la protectrice, bienveillante, généreuse, dévouée et sacrificielle... et dans l'homme le papa-gâteau, le grand-père qui raconte de belles histoires aux enfants, ou le jeune premier drôle et séduisant.
Les choses sont toujours plus compliquées que cela, chaque personne alternant l'une et l'autre figure sous des formes plus ou moins atténuées. Cette ambivalence liée à toutes les figures de notre imaginaire, nous trompe toujours en réduisant une personne ou une catégorie de personnes à l'une des deux faces de la médaille (masculin/féminin). Simplifier ainsi le réel en évacuant "l'énantiodromie" ne permet pas d'aller vers le vrai, vers l'approche scientifique, mais vers l'idéologie, qui comme toute idéologie simplifie, réduit ou enferme .
Il est ainsi essentiel de se dés-identifier du contenu du rôle que le système attribue à chaque sexe, et qui devient sa raison d'être, et par là-même son cheval de bataille si l'individu n'y prend pas garde. Ceci est déterminant pour que la conscience incarnée en une femme puisse saisir sa spécificité, et que celle incarnée en un homme puisse accueillir l'information réactivant son potentiel féminin, et ainsi participer à l'échange que les deux formes sexuées supposent en réalité. Qu'ils soient hommes ou femmes, les humains sont continuellement amenés à réagir par rapport à un principe patriarcal faussé ou à un principe matriarcal lui-même dénaturé, ces deux principes se fondant insidieusement avec la représentation de l'autorité. Se superposant également avec les images sociales du féminin et du masculin, ils contribuent de ce fait à renforcer la perversion du principe masculin.
Ce système n'a pour autre objectif que de nous enfermer dans nos réactions émotionnelles formatées, en jouant sur le sens de nos représentations et en extériorisant sans cesse les problématiques. De ce fait, l'homme comme la femme sont à la fois en conflit avec l'identité masculine et avec l'identité féminine, ce phénomène de division s'imprimant au sein de notre psyché. La confusion, entre les différentes images qui structurent notre univers psycho-physique, renforce nos conflits internes tout en nous coupant du recul qui nous permettrait de sortir de cette situation. Dans cette configuration, la femme est associée au côté dévorant du contrôle et l'homme au côté rigide de celui-ci. Dans ce cadre, l'homme reproche inconsciemment à la femme de ne pas le guider hors de sa dimension masculine pervertie et de ne pas lui procurer les conditions propices à son épanouissement, puisqu'il la considère comme à la solde du patriarcat castrateur. De son côté, la femme reproche à l'homme de ne pas la protéger, de ne pas la sauver de sa dimension féminine déviée, possessive, de ne pas lui procurer les conditions où elle pourrait elle aussi s'épanouir, et d'être le représentant emblématique d'un système inhumain. Et chacun des sexes, avec de nombreuses nuances, peut tour à tour manifester ces deux principes pervertis par la possessivité, le chantage affectif, la rigidité et la contrainte violente.
C'est pourquoi la voie de la sagesse, celle consistant à connaître et transformer, est la voie de l'évolution. Le fait de connaître résume la fonction masculine, et celui de transformer la fonction féminine. Se révèle ainsi la nature androgyne de la sagesse, la Sophia en grec, particularité de l'individu qui sait associer les dimensions féminine et masculine en lui et autour de lui.

La légende de Mélusine
" La fée Pressine, mère de Mélusine jeta un sort à ses trois filles pour avoir offensé leur père, Elinas, roi d'Albanie. Elle attribua à Mélusine la malédiction suivante : chaque samedi, ses longues jambes se revêtiront d'écailles et prendront l'aspect d'une queue de serpent. Si on la surprenait dans cet état, jamais plus elle ne reprendrait forme humaine. Pour contrer le maléfice, l'homme qu'elle épousera ne devra point chercher à la voir ce jour-là. C'est son châtiment, pour avoir avec ses sœurs enfermé sous une montagne leur père qui n'avait pourtant pas respecté le serment fait à leur mère de ne pas la voir pendant ses couches. Mélusine sera à son tour trahie de la même manière par son époux, le puissant seigneur Raimondin (ou Raymondin). Elle lui promet bonheur et prospérité s'il consent à l'épouser. Toutefois, il devra en retour ne jamais chercher à savoir où elle va et ce qu'elle fait le samedi. Raimondin, ébloui par la beauté de la jeune fille, accepte et les noces sont célébrées. En épousant la fée, Raimondin devient le plus puissant seigneur du Poitou. Mélusine, la bâtisseuse, construit le château de Lusignan sur les terres de son mari. Elle se plaît aussi à parsemer les collines alentour de majestueuses cités et forteresses. Mais le mystère autour de Mélusine commence à faire parler. Des dix garçons nés de leur union, chacun d'eux présente une infirmité. Convaincu par son frère jaloux, Raimondin cherche à percerle secretde son épouse. Il la rejoint dans le bas de la tour où elle s'est isolée. Muni de son épée, il fend la serrure de la porte et la surprend dans son bain peignant ses longs cheveux blonds. Au moment où il s'aperçoit que le corps gracieux de Mélusine se termine par une énorme queue de serpent, la fée se met à hurler et saute par la fenêtre du château de Lusignan. Elle s'envole en faisant trois fois le tour de la forteresse, et pousse à chaque tour un cri prodigieux, un cri étrange, douloureux et pitoyable. "
Ce conte alchimique illustre toute la fragilité de l'équilibre féminin-masculin, les ténèbres de l'égo-mental ayant du mal à accueillir le Féminin sacré. De multiples polarités se reflètent en ces femmes fées : bâtisseuse et autodestructrice, humaine et serpente (dragonne), féconde et se donnant la mort, amour absolu et rejet intégral. Comme le féminin reflète la part de lumière du masculin comme sa part d'ombre, les femmes expérimentent la trahison, le rejet, l'abandon, l'injustice et l'humiliation.
Héritières et détentrices d'une puissance créatrice et féconde, les femmes détiennent le pouvoir mitochondrial (ADN hérité uniquement de la mère) permettant le retour à la Lumière. Une fois transmutées l'ombre au fond d'elles, que les religions institutionnelles - initiées uniquement par des hommes - ont puissamment ancré dans leurs formes serpentiformes (la femme démoniaque), elles réalisent le couple alchimique, la réunification de l'Ombre et de la Lumière, du Féminin sacré et du Masculin sacré, de la Lune et du Soleil. Elles sont désormais, en cette fin de cycle, de retour parmi le monde dévoyé et vicié des hommes afin de transcender leurs blessures originelles et honorer, enfin, la promesse faite à leur âme, le retour à l'Unité.